J’attends patiemment dans le buffet qu’elle parle enfin de moi, mais ne voyant rien venir autant que je m’y mette, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et dieu sait que pour servir, je sers !
Je suis tout rond, bien dodu, couleur pain grillé, je viens de Vallauris, c’est écrit sur mon postérieur, je suis orphelin de mon couvercle, on m’appelle « le petit plat de Bonne-Maman » et je suis dans la famille depuis plus de 40 ans, pas une ébréchure, en parfait état et plein de souvenirs de bons petits repas, chauds ou froids mitonnés avec le tour de main inimitable d’un languedocienne pur jus.
Ah j’en ai vu passer des petites salades à la façon « bonne-maman » 2 haricots verts, 4 olives noires, quelques anchois, une tomates, un oignon rouge, un reste de pomme de terre, un délice si je dois en croire les exclamations de Mab et Maky quand ils arrivaient en vacances. Après avoir roulé toute la nuit, pas d’autoroute à cette époque, après s’être perdu dans Toulouse comme à chaque fois, après avoir pris le petit déjeuner à Sète et s’être trempés les pieds dans la mer ils arrivaient enfin aux confins de l’Aude, Tuchan et son château Cathare, avec Fille Unique, embrassades, exclamations et vite « A table les petits », Fille Unique n’avait qu’un an et se dressait sur la pointe des pieds pour quémander un petit quelque chose que son arrère grand-mère lui donnait bien volontiers et moi je passais de mains en mains jusqu’à ce que je sois vide.
Depuis que j’ai trouvé ma place chez Mab, les repas sont moins goûteux, on me remplit de vulgaires pates, quand il y a de la sauce de tomate, c’est fête, d’autres fois je tiens le riz au chaud, rien de bien gastronomique, je regrette le temps des petites salades et surtout je me sens seul sans mon couvercle. Il faut aussi que j’avoue que bien qu’en Seine et Marne depuis des dizaines d’années j’aspire à un peu de soleil, l’accent chantant me manque. Voilà la vie d’un petit plat rond et jaune, je ne suis pas triste car je sais que l’on tient à moi et que l’on m’aime et c’est l’essentiel.
Peut-être avez-vous aussi un objet sans aucune valeur si ce n’est sentimentale?